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Le parfum, dernière frontière du cyberespace

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Cet article est issu de la communication présentée par l’auteur à la sixième conférence de la Digital Olfaction Society, les 3 et 4 décembre 2018 à Tokyo.


Avec le goût, l’odeur est l’un des cinq sens fondamentaux de l’Homme encore absent du cyberespace. C’est même de facto le principal absent tant l’odeur contribue de manière significative à la formation du goût. L’absence de parfum déprécie l’expérience du cybernaute puisqu’il continue de sentir l’environnement direct de son poste numérique, alors qu’il se trouve virtuellement, par exemple, dans une forêt.

Du point de vue commercial et économique, l’absence d’odeur dans le cyberespace représente un coût d’opportunité important ; lequel se mesure par l’écart qui existe entre les impacts que l’olfaction numérique aurait pu avoir sur le cybernaute (consommateur) et la situation actuelle d’absence d’olfaction en ligne. D’un point de vue technologique, l’absence d’odeur dans le cyberespace conduit à la question fondamentale de la faisabilité de la numérisation du parfum.

Des technologies perfectibles

L’idée de diffuser des odeurs pour améliorer les expériences humaines est ancienne, antérieure même aux technologies numériques. À la fin des années 1950, plusieurs salles de cinéma américaines utilisent pour la première fois le système Smell-O-Vision pour le film Scent of Mystery. Les signaux sur la bande sonore du film déclenchent automatiquement des arômes dans des tubes en plastique raccordés à des sièges individuels. Mais cette technologie reste relativement limitée.

Les spectateurs ressortent étonnés d’une projection du film Scent of Mystery, en 2015.

Améliorer l’expérience passera notamment par des progrès en matière de compréhension du mécanisme de perception olfactive. Malgré les efforts inspirants dans la numérisation, le manque d’une théorie générale pour la caractérisation des odeurs rend extrêmement difficile leur reproduction dans le monde numérique. Cependant, de nouvelles voies sont maintenant ouvertes grâce aux recherches des lauréats du prix Nobel de physiologie en 2004, Richard Axel et Linda B. Buck.

La solution de la numérisation des signaux olfactifs réside théoriquement dans des logiciels capables de coder et de décoder les odeurs dans le cyberespace. Bien que l’encodage des odeurs ait connu des avancées encourageantes, la transmission et le réveil des arômes dans un environnement virtuel restent particulièrement difficiles.

La technologie courante pour intégrer les odeurs comme les images et les sons dans les cybermédias pourrait être une interface qui produirait une odeur à partir d’un nombre limité de produits chimiques stockés. Deux technologies majeures de codage et de transmission numériques des odeurs ont aujourd’hui cours : les outils de fixation et l’intelligence artificielle.

ITunes des odeurs

La première est une technologie de transmission des odeurs qui se connecte aux technologies électroniques existantes. L’application oNotes et le diffuseur d’odeur Cyrano qui va avec, cherche par exemple à devenir l’iTunes des odeurs. Et d’autres start-up développent divers projets comparables.

L’intelligence artificielle et le machine learning vont encore plus loin dans la numérisation des parfums. Ainsi Philyrad’IBM utilise des algorithmes d’apprentissage automatique pour croiser des milliers de formules et de familles de parfums, afin de générer de nouvelles combinaisons correspondant aux goûts spécifiques des différents segments de cybernautes. L’objectif ultime est d’influencer positivement leurs activités en ligne et leur bien-être numérique.

Vidéo de démonstration du diffuseur d’odeur Cyrano.

Une autre catégorie, celle de la stimulation du cerveau, jouit d’un buzz énorme. Adrian David Cheok, professeur d’informatique, cherche ainsi à développer une technologie permettant de stimuler de manière électromagnétique le cerveau olfactif du destinataire afin de générer une odeur. Un petit appareil situé dans la partie supérieure de la bouche, sous l’os palatin, déclencherait les neurones sensibles à l’odeur dans le cerveau. Cependant ceci est encore loin de convaincre les scientifiques en ingénierie et en études biologiques.

Autre exemple intéressant de l’olfaction numérique : iSmell, développé par DigiScents, petit appareil connecté à un ordinateur via un port USB, destiné à créer des odeurs à partir de combinaisons et à les intégrer dans des contenus numériques. L’outil n’a pas rencontré son public, très probablement en raison du fait qu’il ne répondait à aucun besoin – et non pas à cause de la qualité avérée du produit final.

Quoi qu’il en soit, technologiquement, la diffusion des odeurs dans le cyberespace reste sensiblement perfectible, principalement en raison de la qualité de la reproduction et de la transmission des odeurs. Parmi les pistes les plus prometteuses, deux méthodes de transmission se distinguent : une ceinture montée sur tube fixée à un masque pour disséminer les odeurs dans la réalité virtuelle, et une nacelle permettant à l’utilisateur d’inhaler l’air fourni.

Impacts sur les comportements d’achat

Étant donné l’impact émotionnel généré par les odeurs et des perspectives économiques considérables qu’elles laissent entrevoir à l’échelle numérique, il est clair que le parfum est aujourd’hui la dernière frontière à franchir technologiquement pour compléter notre expérience sensorielle en ligne.

On recense quatre impacts majeurs que les odeurs peuvent avoir sur les comportements et les interactions humaines : signaux relationnels, réminiscences, émotions et sensations gustatives.

Les « signaux relationnels » constituent la première catégorie d’impacts olfactifs. Les humains reçoivent des odeurs sous forme de messages stimulants et s’y adaptent en conséquence. Les exemples abondent dans la séduction, la guérison, la chasse, la célébration, etc. Nous savons aujourd’hui comment les phéromones affectent les relations des humains, et encore plus la communication de certains animaux – notamment les insectes – et les plantes. Vittorio Gassman et Al Pacino ont respectivement incarnés en 1974 et en 1992, un charmant colonel aveugle à la retraite qui prétend sentir de belles femmes.

Bande-annonce du film Le temps d’un week-end avec Al Pacino (1992).

Les études sur le comportement des consommateurs affirment que le parfum stimule les relations avec les marques en améliorant la mémoire pour les informations sur les produits. Renifler un parfum congruent dans un objet publicitaire augmente l’attention. Les personnes présentant une perte olfactive évitent les interactions avec leurs amis pendant les repas, sont peu disposées à commenter les aliments et traînent les pieds au restaurant. Les odeurs ont donc un impact sur les interactions sociales et les comportements d’achat.

La « réminiscence » se réfère à l’impact olfactif sur la mémoire, comme « l’effet Proust » : le parfum de la madeleine trempée dans le thé rappelle à l’auteur une odeur familière de son enfance. Les odeurs impliquent souvent une correspondance plus forte entre émotion et mémoire, très probablement car le système olfactif dans le cerveau est proche de l’amygdale, les systèmes d’émotion du cerveau, et de l’hippocampe, le traitement de la mémoire.

Les odeurs renforcent les émotions

Les études de comportement des consommateurs révèlent également que les odeurs suscitent de meilleurs souvenirs chez les personnes ayant un sens de l’odorat normal et renforcé. Les différences d’aptitude à l’olfaction chez les clients présentant une faculté normale, renforcée (hyperosmie), diminuée (hyposmie) et une perte de l’odorat (anosmie) ont une incidence sur la mémoire, le jugement et la décision relative aux produits et aux publicités. Nous savons que les odeurs aident les acheteurs à se souvenir des informations sur les produits.

Les « signaux instinctifs » gustatifs tels que la salivation, la motilité gastrique, la reconnaissance des aliments appropriés et des aliments contenant des toxines peuvent également être enflammés par une odeur. La saveur résulte de la combinaison de signaux olfactifs et de données gustatives dans le cerveau. Les restaurants et les cafés utilisent souvent les odeurs comme outils de marketing pour inciter les passants à ouvrir leurs portes et à entrer.

Les « émotions » de bonheur, même les souvenirs de moments heureux, la faim et bien d’autres sentiments sont étonnamment en phase avec les odeurs. Le roman « Le parfum » de Patrick Süskind (1985) illustre bien comment la perception olfactive rappelle non seulement les odeurs, mais également les émotions qui leur sont associées. Les odeurs déclenchent également des souvenirs aversifs désagréables plus détaillés que les deux autres stimuli sensoriels auditifs (musique) et visuels (couleurs de la lumière).

Les études sur le comportement des consommateurs montrent donc que les souvenirs évoqués par les odeurs sont plus émotionnels que ceux évoqués verbalement. Les exemples abondent : les bas nylons à odeur d’orange se vendent mieux que les bas non parfumés. Une paire de chaussures Nike convient mieux aux clients dans une pièce au parfum floral que dans une pièce sans odeur. Les clients perçoivent les odeurs plutôt comme étant appropriées et inappropriées que comme un plaisir ou un désagrément.

Ce pourrait donc finalement être les enjeux business qui stimuleront les progrès technologiques pour atteindre la dernière frontière du cyberespace…

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Djamchid Assadi, Professeur associé au département « Digital Management », Burgundy School of Business

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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